4 avr. 2015

Quand la biologie devient sale ...

Éloignez les enfants, aujourd'hui on va aller se perdre dans les coins sombres de la recherche en écologie, plus précisément de l'écologie comportementale. Oui, parce que l'écologie comportementale c'est la science des pandas, des gazelles et des jaguars ... mais pas que. Non, vraiment pas que. Aujourd'hui ça va être sale, très sale.


Posons rapidement un cadre, la recherche ça marche comme ça: des équipes de chercheurs de partout dans le monde travaillent très fort sur un sujet, pendant très longtemps et un beau jour ils se décident à publier un article. Les articles produits par un chercheur sont super importants car c'est l'aboutissement de son travail, la reconnaissance enfin tant attendue de ses collègues, ainsi qu'un moyen d'avoir des financements ... ou simplement un poste (oui...).


Mais vous me direz, tous les articles ne se valent pas? Et vous auriez raison, effectivement tous les articles ne se valent pas, et c'est là qu'interviennent les journaux scientifiques qui publient les articles. Les journaux scientifiques sont les arbitres de ce beau monde qu'est la recherche. Soumettre un article à Science par exemple c'est en quelque sorte aller draguer la plus jolie fille du bar alors qu'on est encore qu'un ado mal dans sa peau qui ne connait que les filles en JPEG. Maintenant que nous savons tout ça, de quoi allons nous parler aujourd'hui? De la jolie fille accoudée au bar dégustant son Kir Royal ou de Raymond qui reste assis à côté du jukebox en sirotant sa bière? Ben ... à peu près par là:

Merci Power Point!


Une histoire de canard mort ...

Tout commence par cet article scientifique publié le 9 novembre 2001 par Kees Moeliker dans la revue Deinsea qui est le journal du Muséum d'Histoire Naturelle de Rotterdam:


Oui, vous avez bien lu le titre: Premier cas de nécrophilie homosexuelle chez le canard colvert.

L'histoire commence le 5 juin 1995, alors que Kees Moeliker travaillait tranquillement au Muséum, il entendit un "Bang" inhabituel provenant de la grande vitre qui borde son bureau. Malgré le fait que cet ornithologiste expérimenté avait l'habitude d'entendre de nombreux chocs provenant de cette vitre (ce qui signifiait qu'un nouvel oiseau venait de se prendre la vitre de plein fouet et qu'il allait rejoindre les collections du Muséum), celui-ci était plus bruyant que les autres. Kees regarda par la vitre, et compris qu'un canard venait de s'écraser contre la vitre. Mais sa surprise fut totale lorsqu'il vit le corps du canard sans vie gisant par terre, être rejoint par un congénère. Celui-ci ne se contenta pas de pleurer son ami tombé au champ d'honneur, mais se dit qu'il serait plus intéressant de .... comment dire ... ben ... de s'accoupler avec lui ... pendant 72 minutes! Kees, qui observait la scène, ne manqua pas de relever que le canard mort était lui aussi un mâle. Il prit des photos de cette scène surréaliste et l'histoire aurait pu s'arrêter là.

Figure tirée de l'article en question. Je crois que tout le monde comprend ce qui est en train de se passer ...

Mais c'est sans compter sur le fait que Keed Moeliker est un scientifique, qui, comme tout scientifique, se doit de communiquer au monde ses observations. 6 ans plus tard, il se dit qu'il ne pouvait garder une seconde de plus ce terrible secret pour lui et publia l'histoire du canard violeur nécrophile dans un journal scientifique.

Une fois la lecture de cet article achevé, je me suis dit que c'était quand même étrange, et pas mal WHAT THE FUCK pour un article scientifique. Et, poussé par une curiosité que je n'explique pas, je me suis demandé si cet article avait été cité ailleurs dans la littérature scientifique.

Alice qui s'aventure dans le terrier du lapin blanc...

Et quelle ne fut pas ma surprise de voir que cet article est cité 8 fois dans Google Scholar. Parce que OUI, la nécrophilie c'est un sujet sérieux! On trouve par exemple:


- Un cas de nécrophilie relevé chez le crapaud publié dans North-Western Journal of Zoology. Les auteurs mentionnent qu'au détour d'une balade dans la forêt brésilienne, ils ont surpris un couple de  crapauds en plein ébat. Ils se sont approchés, mais seulement l'un des deux amants s'enfuit (le mâle). C'est la qu'ils comprirent que la femelle était morte depuis quelque jours au vu d'un développement précoce de bactéries et de champignons ...


- Un autre cas publié dans Herpetology Notes chez le lézard arc-en-ciel. Ici l'histoire se résume à un mâle errant qui s'accoupla à plusieurs reprises avec une femelle écrasée par une voiture sur la route. Les auteurs expliquent l'étrange comportement du mâle par le fait que "le corps de la femelle avait dû être chauffé par les rayons du soleil de cette après-midi d'été" (je n'invente rien, c'est dans l'article).

- Mais ces exemples ne sont rien à côté des terribles manchots de la Terre Adélie. En 1912, l'explorateur George Murray Levick fut contraint de passer l'hiver antarctique en attendant son bateau sur la Terre Adélie. C'est alors qu'il se mit à observer les manchots ... et ce qu'il observa fut - selon ses dires - le pire à supporter. Au programme: Viols à plusieurs, nécrophilie, pédophilie, rapt, etc ... bref, il fait pas bon d'être un manchot! Levick fut tellement choqué qu'il consigna ses observations en grec afin de réduire le nombre de personnes pouvant lire le carnet de note de l'explorateur.


Mais revenons à notre canard nécrophile

Après la publication de son article, Kees Moeliker, fut contacté par Marc Abraham (fondateur du journal Improbable Research) pour recevoir l'Ig Nobel 2003 de biologie. Il y avait finalement une certaine continuité avec l'Ig Nobel de l'année précédente (2002) attribué à Norma. E. Bibier et ses collaborateurs pour leurs travaux sur le comportement nuptial des autruches vis-à-vis des humains dans les conditions agricoles en Grande-Bretagne. En tout cas, Kees a de l'humour à revendre, et fut très heureux de gagner l'Ig Nobel de biologie. Il instaura même la journée du canard mort (Dead Duck Day) dans son muséum au Pays-Bas (le 5 juin). Pour vous montrer à quel point Kees a de l'humour, allez regarder sa conférence TED (sous-titré en français) sobrement intitulée "Comment un canard mort a changé ma vie". On se marre bien avec Kees!

Si vous passez à Rotterdam le 5 juin ...

La morale de cette histoire au final c'est que ...c'est pas facile de trouver une morale à tout ça! Disons que la prochaine fois qu'un ami vous dit que la Nature c'est ce qu'il y a de plus beau, à l'image d'un télétubbies qui nage dans de la guimauve en arc-en-ciel ... rappelez-lui que derrière ce beau paysage se cache parfois un canard!

10 commentaires:

  1. https://www.youtube.com/watch?v=_1v_EcjeIkg

    Je trouve ça plutôt adapté.

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    1. Oh oui!
      Merci pour ce lien plein de poésie ;)

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    2. Je t'en prie, il faut que l'art et l'élégance se diffusent dans le monde entier!
      Mais c'est vrai que c'est marrant de casser des mythes comme "la nature c'est les pitits oiseaux tout mignons".
      Le dauphin est aussi assez particulier dans sa catégorie (viols en bande, sur les humains aussi, etc...)!
      Bref, quelle perverse cette évolution.

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  2. Une petite histoire à raconter à la prochaine personne qui vous dira "c'est dans la nature, donc c'est bien" !

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    1. Absolument!
      C'était au départ l'idée que j'avais pour la "morale" de cette histoire, mais j'ai voulu rester sur un ton plus léger.

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    2. J'étais justement en train de me dire qu'il fallait absolument garder ce lien en réponse à "L'homosexualité dans la nature ça n'existe pas."

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  3. Toujours aussi sympa tes articles ! Ça me fait découvrir des choses de plus en plus étonnantes ;)

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  4. Pour l'hypothèse du lézard dont le corps a été chauffé suivant sa mort m'a fait soufflé du nez haha.

    J'aime beaucoup ton article, tu utilises un ton léger sur un sujet qui peut être assez lourd à aborder et cela rend la lecture plus aguichante mais aussi l'imagination plus "agréable" si je puis m'exprimer ainsi.

    Plus sérieusement, l'idée que ces actes de nécrophilies ne pourraient-ils pas être liés à l'instinct primaire, pour nombreuses espèces animales, de domination ?
    Je m'explique brièvement, l'animal nécrophile pourrait être privé d'un de ses sens et pourrait ainsi (comme certains chiens, chats, ...) montrer sa puissance face à son "adversaire" qui est soumis (bon là d'accord, il est mort) sans se rendre compte justement du décès de son congénère ?

    Bien entendu tout n'est que spéculation ;)
    Bonne continuation et merci de cette découverte ;)

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  5. ya Nature aussi comme "fille la plus canon du lycée" ^^

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