24 mai 2017

La couleur du bruit de la sélection: partie 2


Blanc? Bleu? Vert? Si la fluctuation de la sélection naturelle dans le temps et l'espace a une couleur, elle est bien rouge! 

Nous l'avons vu dans la première partie, ce "bruit" rouge nous indique que la force de la sélection naturelle subit par les espèces est d'autant plus importante que ses variations sont rares. 

Mais ... y aurait-il un lien entre l'ami Darwin et la thermodynamique bien connue des physiciens?





Retour sur la première partie de ce billet: La sélection naturelle varie dans le temps et l'espace. Tout comme une force physique, sa direction et son intensité subissent de nombreuses variations. Loin de ressembler à un simple lancé de dé, la sélection naturelle, à l'instar des séismes et autres phénomènes naturels, varie en suivant un bruit rouge. La lumière rouge est dominée par les faibles fréquences (ex: les infrarouges) ... la sélection naturelle c'est la même chose! C'est à dire qu'elle varie de manière drastique très rarement. Et heureusement! En effet, comment s'adapter si la force et la direction de la sélection subit de très importantes variations constamment?


Vous prendriez bien une petite tasse de thermodynamique?


Le bruit rouge est quelque chose de bien connu des physiciens. En effet, il décrit une fonction 1/f (ou f est la fréquence). Et cette fonction 1/f est pour le moins ... intéressante!

Attention phrase barbare:

Cette fonction 1/f décrit l'apparition dans le temps d'une brisure de symétrie dans une structure dissipative.

Ok ok ok, arrêtons-nous 2 secondes sur ce charabia. C’est quoi une structure dissipative? Ce terme a priori complexe n'est rien d'autre qu'un système ouvert qui reçoit de l'énergie et qui en dissipe, sous forme de chaleur essentiellement. Pour le dire autrement, une structure dissipative c'est l'inverse de votre tasse de café brûlant que vous oubliez sur la table. Si elle est n'est pas réchauffée, cette tasse de café va se refroidir, jusqu'à atteindre la température de la pièce.  Bref, elle va perdre de l'énergie! Dans une structure dissipative, il y a constamment un apport d'énergie qui va l'empêcher de se "refroidir" en quelque sorte. C'est le cas des étoiles, des arbres, des animaux et de François Hollande Emmanuel Macron ... ce sont toutes des structures dissipatives. On les dit « symétriques ». Cependant, il peut arriver parfois qu'une perturbation arrive, et casse ce bel équilibre entre les apports et les pertes d'énergie. On parle alors d'une brisure de symétrie!

Parlons un peu d'entropie ...






L'entropie? Tout le monde en a déjà entendu parlé? Grossièrement, l'entropie est une mesure du désordre d'un système. Si vous ne rangez pas votre chambre, l'entropie augmente. Et il faut alors "apporter de l'énergie au système" ... bien souvent en faisant le ménage du dimanche après-midi en ayant une gueule de bois (ne mentez pas, on l'a tous fait!). Bref, une structure dissipative n'est rien d'autre qu'un système qui se bat constamment contre l'augmentation de l'entropie en apportant de l'énergie. Un être vivant est une structure hautement organisée, et doit donc aussi se battre contre l'entropie en apportant de l'énergie ... c'est ce qu'on appelle manger!



Maintenant que le cadre est posé, attaquons le vif du sujet

Ilya Prigogine

Dans les années 70, Ilya Prigogine (Prix Nobel de Chimie 1978) découvrit que les structures dissipatives s'auto-organisent de façon à maximiser les flux d'énergie qui les traversent. C’est ce qui est parfois appelé le 3ème principe de thermodynamique. Comme les êtres vivants sont « thermodynamiquement » parlant des structures dissipatives, alors ils devraient aussi être soumis au même principe. Et bingo, c’est aussi ce qui est sorti de la tête d’un biologiste: Alfred James Lotka (1880-1949). Connu surtout pour ses modèles de démographie, Lotka émis déjà l’hypothèse en 1922 que « les êtres vivants tendent à maximiser le flux d’énergie qui les traverse sous l’action de la sélection naturelle ». Vous voyez ou je veux en venir?

Alfred James Lotka



En gros, la sélection naturelle ne représenterait que le processus par lequel les espèces tendent constamment à maximiser le flux d’énergie qui les traversent, luttant donc contre l’entropie. 

Un être vivant est une structure qui doit constamment « s’apporter de l’énergie », et seuls ceux qui y arrivent le mieux sont « sélectionnés ».




Mais rappelons-nous, l’entropie peut grossièrement être résumée comme de la perte d’information. Un être vivant n’est rien d’autre qu’une énorme masse d’information (représentée par son organisation), qui doit constamment lutter contre l’entropie. La sélection naturelle fait donc le tri entre ceux qui conservent le mieux leur information (donc qui dissipent le mieux leur énergie, d’un point de vu thermodynamique) et ceux qui n’y arrivent pas. Nous l’avons vu, pour conserver son information, il faut donc apporter de l’énergie au système. En gros il faut manger. La sélection naturelle tri les individus qui mangent le mieux … qui survivent le mieux en fait.



Cependant, il peut arriver à tout moment qu’une perturbation détruise ce beau système thermodynamique, ce qu’on appelle aussi une brisure de symétrie. PAUSE! Qu’avons-nous dit plus haut? : « (…) cette fonction 1/f décrit l'apparition dans le temps d'une brisure de symétrie dans une structure dissipative ». Structure 1 /f qui décrit la variation de la sélection naturelle dans le temps!

Il est temps de finir l’histoire.

Le problème de la vie, c’est qu’elle ne peut se prémunir tout le temps d’une perturbation. Une pierre va toujours tomber un jour à ou l’autre sur la plante en contre-bas. Un pare-brise va toujours finir par écraser la pauvre mouche qui voletait sur la route. La foudre va toujours frapper le pauvre Robert qui répare son antenne de Canal + un soir d’orage avec une bière à la main.



Élargissons notre point de vue : Et il y aura toujours une météorite qui tombera pour détruire 75% des espèces vivantes sur la Terre (#nerverforget #dinosaures) un jour ou l’autre. Bref, pour le dire dans le langage de la thermodynamique, il y aura toujours une brisure de symétrie pour venir ennuyer le bel équilibre thermodynamique que représente un être vivant. Pour le dire dans le langage du commun des mortel, il y aura toujours une belle saloperie pour nous tomber sur le coin de la gueule! Le hasard est une donnée nécessaire de l’univers, et la vie doit faire avec. Face à un tel destin fait de tirages de dé, comment continuer à lutter contre l’entropie en maintenant son information? Non, le tarot divinatoire n’est pas la solution.

C’est là où la Vie a trouvé son petit truc qui la rend si unique : la reproduction. Pas la peine de maintenir le « porte information » (l’organisme) en vie, il suffit de transmettre notre information (l’ADN) dans un autre porte information! Voilà comment la vie arrive à lutter contre l’entropie. Et la sélection naturelle en est le chef qualité intransigeant. L’entropie va de toute façon irrémédiablement altérer l’information que représente notre corps, nous menant tous entre 4 planches (voir aussi un ancien article démontrant l'inutilité de l'immortalité pour un organisme vivant). L’important c’est de pouvoir transmettre l’information avant que l’entropie fasse son job … Il n’y a pas 36 façons de transmettre son information, il faut se dupliquer! Certains organismes ont même développé la reproduction sexuée qui permet de se dupliquer en créant de l’information à chaque génération! En gros, la prochaine fois que vous voulez mettre la belle blonde accoudée au bar dans votre lit, dites-lui qu’elle fait partie d’un plus vaste projet, celui de réduire l’entropie de la vie, et donc de l’univers 😊!

En conclusion?

La sélection naturelle ne serait donc que la conséquence de la variation de l’entropie sur la Terre. En gros, la variation de l’énergie sur la Terre façonnerait la sélection naturelle, sa force et sa direction. Le grand Hamilton (1936-2000) ne s’était peut-être pas trompé lorsqu’il se demandait en 1970 si « (...) given a uniform world with constant weather, would the negentropy of solar radiation suffice to produce the necessary variation for natural selection to act upon? »

La vie n’est au final qu’un frêle esquif luttant contre l’entropie dans un océan déchaîné de lancés de dés ! La sélection naturelle est là pour écarter les embarcations qui se laisseraient happer par une vague de hasard. Les vagues de hasard ne sont pas les mêmes sur toute la surface de la Terre, faisant varier la sélection naturelle … qui peut alors mettre son génie à l’œuvre pour créer la formidable diversité qui nous est offerte.


Sources en vrac:

- Très grosse source d'inspiration: http://www.francois-roddier.fr/
François Roddier est un astrophysicien qui s'est pas mal intéressé à la biologie, à la sociologie, à l'écologie, etc ... Bref le Monsieur touche à plein de choses. Un esprit brillant qui mériterait assurément une plus grand attention!

Son livre: François Roddier, Thermodynamique de l'évolution: un essai de thermo-bio-sociologie. 2012. Edition Parole.

Une de ses conférences: https://www.youtube.com/watch?v=6lNz5vmKEFA

- Hamilton, W.D. (1970) Ordering the phenomena of ecology. Science, 167, 1478-1480

- Lotka, A.J. (1922) Contribution to the Energetics of Evolution. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 8, 147-151

Solé, R.V., Manrubia, S.C., Benton, M., Kauffman, S. & Bak, P. (1999) Criticality and scaling in evolutionary ecology. Trends in Ecology & Evolution, 14, 156-160

- Solé, R.V. & Bascompte, J. (2006) Self-Organization in Complex Ecosystems.(MPB-42). Princeton University Press

- Brown, J.H., Gupta, V.K., Li, B.-L., Milne, B.T., Restrepo, C. & West, G.B. (2002) The fractal nature of nature: power laws, ecological complexity and biodiversity. Philosophical Transactions of the Royal Society of London B: Biological Sciences, 357, 619-626

- Sella, G. & Hirsh, A.E. (2005) The application of statistical physics to evolutionary biology. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 102, 9541-9546

- Price, G.R. (1995) The nature of selection. Journal of Theoretical Biology, 175, 389-396





1 commentaire:

  1. Oui, un nouvel article.

    Un article qui traite de bruit rouge, plus orienté stats :
    http://adrastia.org/loi-puissance-steffan/

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